En ouverture du festival qu'il consacre à l’ensemble Le Balcon, l’Athénée où il est en résidence pour la saison 2018-2019, propose la première œuvre lyrique de Wolfgang Rihm, Jakob Lenz. Dans cet opéra de chambre de 1979, inspiré la nouvelle de Büchner consacrée à un épisode de la vie de l’auteur des Soldats (Die Soldaten), le compositeur semble avoir voulu assumer l’héritage du Wozzeck de Berg et de l’expressionnisme musical, inventant pour retraduire musicalement la folie du poète, hanté par un amour inabouti et une culpabilité diffuse mais terriblement taraudante, une partition d’une rare intensité et d’une grande exigence vocale et théâtrale pour le rôle-titre.
Un petit chœur de solistes — quatre voix féminines et deux masculines — incarne les voix intérieures du poète schizophrène et vient en écho prolonger ses plaintes ou approfondir ses tourments. Deux personnages secondaires, le pasteur Oberlin, figure bienveillante d’une religion impuissante à consoler (la basse Damien Pass) et Kaufmann, incarnation maligne de la loi, un ténor pointu où l’on reconnaît le capitaine de Wozzeck (Michael Smallwood), permettent au compositeur de créer des ensembles d’une terrible violence où s’expriment les déchirements du protagoniste et de sa conscience dédoublée.
Dominée par le Sprechgesang, voire le mélologue, la traduction musicale de l’errance mentale s’incarne dans des sauts de registres redoutables et une écriture vocale extrêmement tendue qui réclame de l’interprète un engagement de tous les instants et qu’assume de façon captivante le baryton Vincent Vantighem.
Festival La Balcon, mars 2019. Photographie © Meng Phu.
Dirigé depuis la fosse par Maxime Pascal, le petit ensemble instrumental issu du Balcon — six vents, deux violoncelles, clavecin et percussions — accompagne sur le plateau cette descente aux enfers dans une partition d’une grande richesse et d’une grande liberté d’inspiration où ne retombe jamais la tension, pas même dans les trois magnifiques interludes qui rythment la brève heure un quart.
La mise en scène de Nieto joue sur une direction d’acteurs minimale et confie à un ensemble de projections vidéo la création du climat tragique dans lequel baigne la pièce, évoquant les paysages — lac ou forêt — dans une optique déformante et concrétisant les obsessions du poète dans des images christiques récurrentes (la croix, l’agneau mystique) ou des dessins d’enfant qui rappellent l’univers d’un Jean-Michel Basquiat. L’image finale où une bande de lumière bleue se referme progressivement sur la figure du poète, seul en fond de scène, définitivement absorbé dans sa folie, conclut un spectacle d‘une très grande force.
Prochaines représentations les 22 et 29 mars à 20h.
Festival Le Balcon du 17 au 30 mars : concerts, opéra, projections : La Métamorphose de Michael Levinas (24 mars) ; Soirée mystique : Wagner, Suraez-Ciduentes, Harvey (23 mars) ; Grand gala des 10 ans de l'ensemble (Grisey, Blondy, Riley (30 mars).
Festival La Balcon, mars 2019. Photographie © Meng Phu.
Frédéric Norac
15 mars 2019
ISNN 2269-9910.
Mardi 8 Octobre, 2024